"En mars, quand les glaçons s’égouttaient des toits, nous entendions déjà le galop du printemps. Nous laissions les perce-neige dans les bois. Nous attendions jusqu’en mai, la cueillette des fraises.
Les pics martelaient déjà les arbres. Il pleuvait souvent. Les pluies étaient douces, leurs eaux un genre de velours.
Elles étaient d’égale durée, un jour entier, deux jours, une semaine. Un vent soufflait, les nuages restaient immobiles, fixes comme des astres dans le ciel. C’était une pluie méthodique, réfléchie. Les chemins s’ameublissaient. Le marais gagnait les bois, les grenouilles nageaient dans la futaie. Les roues aux chariots des paysans cessaient de grincer. Toutes les voitures étaient comme posées sur des pneus. Les sabots des chevaux se taisaient. Tous ôtaient leurs bottes, les jetaient sur leur dos et pataugeaient nus pieds.
L’éclaircie venait du jour au lendemain.
La pluie cessait un beau matin. Le soleil revenait, comme rentré de vacances.
Ce jour-là, nous l’avions attendu. Ce jour-là, les fraises devaient être mûres."
***
"Or Vienne n’avait rien d’un village. Vienne était la ville dont l’Empereur, dans sa voiture ou perché sur sa monture, empruntait les mille, que dis-je, dix mille rues. En plein cœur de la ville de Vienne se trouvait le palais de l’Empereur, tout d’or, de marbres et de brillants. Devant ce palais se tenaient les gardes du corps, revêtus d’or et de fer. La garde rapprochée était mille fois plus nombreuse que la gendarmerie. L’Empereur roulait ou chevauchait au milieu de ses ministres.
Et les ministres avaient mille fois plus d’intelligence que tous les bourgmestres réunis.
Vienne était un autre monde.
Un tourneur à Vienne était plus qu’un docteur dans une petite ville nichée à la frontière russe.
Je crois pouvoir dire que ce fut une joie effrayante qui à cet instant s’empara de Mendel."
Traduction par Alexis Tautou